Le pèlerinage est par excellence la mise en oeuvre du voyage conçu comme expérience physique d’un itinéraire intérieur : en photographiant celui de
la Guadalupe, près de Mexico,
Alinka Etcheverria décline les surprenantes variations plastiques qu’offrent, de dos, les pèlerins qui viennent faire bénir leur icône de la vierge.
Le pèlerinage s’enracine aussi, et peut-être d’abord, dans une géographie. Geneviève Hofman, par une approche topographique de hauts lieux spirituels situés entre le Mont Saint Michel et le mont Tabor en Israël, tente de retrouver ce qui a aimanté cet impérieux désir des hommes d’atteindre un lieu, de l’ériger en aboutissement d’une quête.
Autre lieu sacré : le mur des lamentations à Jérusalem, au pied duquel règne un mélange chaotique de ferveur religieuse, d’agitation désordonnée et de scènes incongrues sur lesquelles Sandu Mendrea et son fils Dinu portent un regard à la fois un peu distant, parfois ironique mais toujours bienveillant.
A l’opposé, c’est l’absence de site et de trace qui a incité Jacqueline Salmon a constituer un mémorial photographique dédié à douze chefs indiens qui vécurent au XIX ème siècle, afin de perpétuer leur mémoire éradiquée jadis par la volonté des colons, menacée aujourd’hui par le temps et l’indifférence. De Rome, Capitale du Saint Siège, que reste-t-il aujourd’hui ? Déambulant entre églises et pizzerias, musées et fêtes foraines, Véronique Ellena nous en livre, dans sa vidéo, une vision éclatée et malicieuse. Quant à Heinz Cibulka, il compose des associations d’images qui évoquent la vie sociale et spirituelle d’une société rurale autrichienne imprégnée par le catholicisme et l’esthétique baroque.
On ne sera pas surpris que l’observation des rites et rituels nous conduise à plusieurs reprises vers une Afrique toujours pénétrée de sa conception animiste du monde. La patiente collecte de visages et de témoignages de féticheurs, de lieux et d’objets de divination effectuée par Agnès Pataux constitue l’un des rares ensemble offrant une vision synthétique de ces pratiques animistes en Afrique de l’Ouest. Au Mali, Philippe Bordas s’est, lui, intéressé à la confrérie des chasseurs qui rassemble les descendants de l’ancienne armée du roi Sounjata Keïta, fondateur de l’Empire du Mali au XIII ème siècle. Emilie Chaix nous livre son témoignage sur les cérémonies nocturnes du Bwiti au Gabon tandis que Nicolas Bruant redonne aux masques et statues d’Afrique leur statut d’objets rituels vivants en nous en livrant une vision empreinte de sensualité et d’émotion, bien éloignée de la présentation désincarnée qu’en donnent les musées. Avec « L’Allée des rois », Jean-Dominique Burton nous entraîne sur le terrain de la relation pouvoir / sacré et leur incarnation à travers une série de portraits de rois actuels du Burkina Faso. Enfin, c’est au Brésil que Dany Leriche et Jean-Michel Fickinger ont photographié les adeptes du Candomblé, cette religion syncrétique conçue par les esclaves venus du Bénin, nous proposant, hors de tout contexte événementiel, un ensemble de portraits à la fois allégoriques et vivants.
Il est un autre aspect du sacré, plus familier, parfois presque bon enfant : celui que l’on rencontre en Inde. Jérôme Thirriot en révèle l’omniprésence à travers des lieux, des visages, des gestes captés comme autant d’instants de grâce tandis que Deidi von Schaewen dresse une typologie des arbres sacrés transformés en lieux de culte. Faisant alterner portraits intimes et paysages grandioses, Frédéric Lemalet, amoureux du peuple tibétain, nous propose de partager l’ordinaire de leur existence hivernale sur le plateau himalayen, consacrée pour l’essentiel aux occupations religieuses et à la lutte contre les éléments.
C’est à une autre approche du sacré, moins sociale, que nous convie Serge Brunier lorsqu’il capte l’image de la voie lactée et s’immerge dans son immensité pour nous faire partager une expérience de vertige quasi mystique.
Sacralité du religieux, du pouvoir, du souvenir, de l’art, de la mort, de la nature, du cosmos : le champ du sacré est sans limites et ses formes sont innombrables. Chacun se constitue le sien, en marge de celui que définit le consensus social. Mais le sentiment ambigu qu’il suscite dans lequel la crainte se mêle à l’attachement, le respect au désir, est lui bien singulier. A chacun d’en faire ici l’expérience, parmi ces propositions.
Claude Geiss
directeur artistique du Festival Chroniques Nomades
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