Jérôme Thirriot est toujours revenu en Inde comme dans sa famille d’adoption. Initié à sa culture dès l’âge de vingt ans par l’apprentissage des tablas et du raga traditionnel, il en a connu la spiritualité sans en ignorer la dureté quotidienne, en a éprouvé le souffle qui élève tout comme la rigidité d’une conception de l’homme qui rive celui-ci à une place sociale prédéterminée.
C’est sans doute parce qu’il était si imprégné de la pensée, des croyances, des pratiques de l’Inde que Jérôme Thirriot a pu en donner cette vision complexe : à la fois détachée, légère et fugitive comme une buée, en même temps que marquée par la conscience aiguë qu’un ordre profond est à l’œuvre derrière les aléas du réel et que la photographie est peut-être l’un des moyens d’y accéder.
Aussi sa curiosité était-elle insatiable comme celle d’un enfant. Un visage entraperçu dans l’encadrement d’une porte, un geste capté au sortir de l’ombre, un objet abandonné lui étaient ravissement aussi bien que source de méditation. Et il savait, spontanément, nous transmettre l’un et l’autre. Attentif à l’impromptu, aux faits les plus ténus, il n’en évitait pas moins l’anecdotique ou le narratif dans ses images. Si chacune d’elles a la fraîcheur d’un émerveillement - miraculeusement toujours renouvelé -, elle est aussi le résultat d’une rigoureuse composition. Du jeu des masses et des lignes, du rôle actif du vide naît une harmonie dans laquelle tout fait signe pour qui a su renoncer à en cerner toujours la signification.
C’est peut-être à force de longer le Gange en complicité avec sa compagne, le Leica éternellement à l’épaule, que Jérôme Thirriot a appris ce lâcher-prise qui lui permet, face au spectacle de l’Inde, d’être au plus près de l’émotion et de le tenir à distance suffisante pour en révéler, non la clé, mais l’énigme elle-même.
Jean-Christian Fleury
(1) Traduction : « Cela c’est toi. »
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