Contrairement à la représentation que l’Occidental, ou plus largement le monothéiste, se fait de l’animisme et des religions d’Afrique, celles-ci ont en commun la croyance en un seul Dieu créateur mais qui n’est accessible qu’à travers une multitudes d’intermédiaires : forces spirituelles, énergies émanant de la nature, esprits des ancêtres.
Les fétiches ne sont que les intercesseurs entre ces forces invisibles mais omniprésentes et les hommes. Objets de pratiques rituelles (prières, sacrifices), ces objets vivants sont les lieux transitoires où réside telle ou telle entité que le devin-féticheur s’efforce de se concilier. Lui seul connaît leurs secrets, peut les activer et entendre leur parole. Seul un initié peut les approcher et les voir.
Agnès Pataux a donc dû se faire admettre dans différentes sociétés d’initiés pour réaliser ses photos. Fruit de nombreux séjours au Burkina Faso, au Mali et au Bénin, sa patiente collecte de visages, de témoignages, de lieux et d’objets de divination constitue l’un des rares ensembles offrant une vision synthétique des pratiques animistes encore vivantes en Afrique de l’Ouest. Elle nous permet de pénétrer chez ces féticheurs dont le prestige est lié au pouvoir et à l’efficacité des objets qu’ils détiennent. Ces hommes, intercesseurs entre les mondes visible et invisible, qui manipulent des forces parfois si redoutables qu’elles peuvent entraîner la mort, mènent la vie modeste des gens du village. Leur lieu opératoire, une pièce aveugle située au fond de la maison, nous apparaît comme un capharnaüm poussiéreux, encombré d’objets hétéroclites : figurations sculptées, amas de matières sacrificielles, instruments de culte, crânes d’animaux…
Il nous est difficile d’imaginer la valeur et le pouvoir de ces « fétiches » à partir de leur aspect : nous sommes trop habitués à établir une corrélation entre l’importance symbolique d’un objet et la valeur artistique de sa forme. De cet univers où règne la magie, Agnès Pataux restitue la pauvreté, l’apparent désordre qui tranchent avec la gravité solennelle de ces devins, conscients de leur rôle social et de leur responsabilité. L’intimité qu’elle a su nouer avec eux, condition de ces images, leur donne aussi leur poids d’humanité. Ces hommes en contact avec les forces de l’au-delà, les aurions-nous seulement remarqués si nous les avions rencontrés hors de leur antre sacré ?
« Cœur blanc, ventre blanc » : telle fut la réponse du fétiche interrogé par l’un des devins pour savoir si les intentions de la photographe étaient bonnes. Elles l’étaient. Quant à la possibilité de rendre publiques ses images : « Pas de problème : il n’y a pas l’odeur. » C’est que le fétiche participe d’une expérience sensorielle totale, en interaction avec l’espace qui l’entoure, alors que la photographie n’est qu’une représentation strictement visuelle qui n’implique pas la présence et est donc sans conséquences. Rude leçon de modestie pour les photographes.
Jean-Christian Fleury
|