Exposition
Jacques Sierpinski ne cesse de parcourir le monde pour la presse, l’édition ou la publicité. Mais, lorsqu’en 1991, il décide, à la faveur des accords de Paris qui mettent fin à la guerre, de se rendre au Cambodge pour photographier le site d’Angkor, il réalise un rêve de gosse : la découverte d’un temple enfoui dans la jungle le renvoie à un stéréotype qui l’a tant fasciné dans la bande dessinée et le roman d’aventures.
Au cours de quatre voyages, il va confronter ce rêve à la réalité de ruines abandonnées durant les années de guerre, envahies par la végétation, livrées aux pillages d’une population affamée, prête à négocier quelque sculpture pour survivre. La forme qu’il adopte traduit cette impression de déjà-vu, comme si la réalité se conformait aux représentations anciennes que l’on en connaît. Ses images, par leurs couleurs passées, leur texture, renvoient à la photographie ancienne sans pour autant en imiter une technique particulière. Elles sont nourries tout autant par le Voyage au Cambodge, ouvrage illustré publié par Louis Delaporte qui découvrit le site en 1866 et consacra ensuite sa vie à faire connaître l’art khmer. On retrouve ici l’impression d’émerveillement devant des vestiges fraîchement découverts, la poésie, la langueur, la sensualité qui sont les ingrédients de la vision orientaliste.
Mais une dimension plus mélancolique est sensible ; une même érosion semble à l’œuvre sur ces statues et sur les images de Sierpinski : cette épaisseur temporelle relève de l’intérêt constant de leur auteur pour restituer la perception du temps dans la représentation d’un territoire. Son travail actuel sur les batailles napoléoniennes confronte à nouveau, mais cette fois de manière antagoniste, la vision sur le terrain aux représentations dont se nourrissent notre mémoire et notre imagination. À Angkor non plus qu’à Waterloo, il n’est de regard innocent.
J.-C. F.
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