Le seul bien que les esclaves purent emporter avec eux, lorsqu’ils quittèrent les côtes des grands royaumes d’Afrique de l’ouest, ce fut leurs dieux. Ils les exportèrent en secret dans les plantations sucrières d’Haïti et du Brésil. Là, sous l’effet de la christianisation forcée, se constituèrent des religions syncrétiques assimilant le Dieu unique créateur du monde à Mawu, et les saints catholiques aux orixas, la multitude des divinités secondaires liées aux éléments et aux phénomènes naturels. Ainsi naquit le Candomblé, qui a perduré et prospère aujourd’hui aux Caraïbes et au Brésil où le gouvernement a reconnu et subventionne les terreiros, les « maisons de Candomblé ». Cette résistance des croyances animistes face à la pression des maîtres et des missionnaires catholiques puis, plus récemment, face au rationalisme et au positivisme modernes s’explique principalement par le fait qu’elles a permis aux esclaves d’hier et à leurs descendants d’aujourd’hui de conserver leur identité, leur histoire, de supporter leur condition, de réguler leurs conflits.
C’est cette vitalité de la culture africaine, cette aptitude à marier harmonieusement des religions différentes qui a incité Dany Leriche et Jean-Michel Fickinger à s’intéresser au Candomblé, à ses rites de possession, à la personnalité de ses adeptes. Entre Salvador de Bahia et Itaparica, ils ont photographié ces pratiquants individuellement, frontalement, hors de tout contexte événementiel. Fidèle à leur manière, ils ont procédé, elle en « metteur en scène », lui en « directeur de la photo » et ont ainsi constitué un ensemble de « portraits allégoriques ». Pratique paradoxale dans laquelle s’affirme une volonté : celle d’incarner certaines notions abstraites (ici, le syncrétisme des cultures, le rôle social des sujets photographiés), et un désir : celui de respecter et de faire affleurer, derrière l’adepte, la personnalité de chaque individu, femme, homme, enfant saisi dans l’instant de l’échange avec le photographe.
Qu’il soit nu, comme dans les compositions picturales inspirées des peintures allégoriques de la Renaissance que réalisait Dany Leriche il y a quelques années, ou qu’il soit, comme dans cette série, vêtu de robes blanches traditionnelles, de T shirts aux effigies des saints ou de la Vierge, c’est toujours le corps qui, par sa présence, par son indocilité, par le poids du regard posé sur lui, parce qu’il est photographié ici et maintenant, donne vie, à cette tentation permanente de l’art de représenter l’idée.
Jean-Christian Fleury
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